Article-Résumé de la sortie MER du congrès de Nice 2022 par Valérie KAAS et revu par Jean-Marc LARDEAUX
Une sortie sur le terrain de géologie n’est pas une sortie de botanique et inversement, qu’on se le dise ! En voici une illustration. Au menu: le sentier littoral de Saint Jean Cap Ferrat, des APBGistes motivés, les Alpes, la Méditerranée, Paloma Beach, un guide-professeur-géologue avec des allures d’Indiana Jones, un volcan, des vers géants, des Corses, Pierre Henri et sa copine ! Allez on valide !
Nous sommes le 14 juillet 2022, top-départ sur Paloma Beach sous les yeux intrigués des baigneurs du matin car au lieu de nous diriger vers les eaux limpides et fraîches de la Méditerranée, nous restons scotchés à la paroi rocheuse pour jauger d’un air entendu les calcaires plissés.
Et là où le botaniste sortirait ses fiches, le géologue dégaine … sa carte géologique. Les baigneurs curieux s’approchent un peu -il y a de jolies couleurs- et nous restons en formation en tortue autour de la carte et du professeur pour ne rater aucun iota de l’explication du contexte géologique, à savoir le plissement alpin.
Alors que le botaniste lambda demanderait là: “ Connaissez-vous d’autres espèces d’aristolochiacées?”, le géologue demande “ Qui sait mesurer le pendage d’une couche ?”. Grand silence, les mouches volent, certaines tombent.
Il faut savoir que l’approche mathématique du monde naturel du géologue diffère totalement de celle du botaniste: ce dernier se laisse bercer par la poésie des suites arithmétiques de Fibonacci, les pétales en spirales, les circonvolutions des tiges grimpantes, les hélices des petites rosettes charmantes … Le géologue lui mesure des angles avec sa boussole: “ Cette couche a un pendage de 46,9 degrés et le pli est orienté NO-SE.”. Ouf maintenant on sait (à nouveau !) mesurer le pendage d’une couche. C’est le moment où les baigneurs décrochent définitivement pour retourner à leurs bouées.
Mais pas nous ! Nous voulons en savoir plus ! Un peu plus loin, sur une dalle parsemée de terriers de vers fossiles du gabarit d’un tuyau d’arrosage, on nous démontre à l’aide de cartes roulées au sol que notre joli pli est perturbé par d’autres forces tectoniques que celles du plissement alpin.
Nous voilà lancés sur le sentier littoral pour élucider ce mystère. Nous croisons un jeune homme -col de polo remonté, bermuda à ceinture, mocassins en cuir, son Iphone13 dans une main, sa copine à visière dans l’autre- qui nous lance haut et fort : “ Bon Courage !”. Non mais quelle insolence ! Comment peut-on douter de la motivation d’une vingtaine d’APBGistes à élucider l’origine d’une interférence de plis en contexte de convergence ? Pierre-Henri, ton carnet de correspondance, trois heures de colle !
Hélas, les relevés météorologiques ne tarderont pas à le confirmer: l’été 2022 sera caniculaire, sec, torride et une eau anormalement chaude en Méditerranée. Là il est 11h30 avec au Sud la grande bleue ensoleillée, au Nord les murs d’enceinte des propriétés de Saint Jean Cap Ferrat avec leurs jardins ombragés, au centre le sentier littoral, blanc comme les calcaires qui l’entourent et qui nous renvoie généreusement toute la lumière qu’il reçoit. Bref Pierre-Henri avait vu juste, il nous en a fallu du courage pour aller dénicher le prochain affleurement.
D’autant plus que, si l’on en revient à notre comparaison de départ, le botaniste a pour habitude de fouler le sol et d’observer tout ce qui y a pris racine donc il a de fortes chances d’être à l’ombre d’une canopée tandis que le géologue cogne le sous-sol, fuit la végétation, exige l’affleurement le plus rocailleux possible: nous cuisons à petit feu ! Je commence à comprendre l’utilité absolue du chapeau du professeur !
Quelques centaines de mètres plus loin et quelques litres en moins, on nous montre un magnifique miroir de faille, là à côté du sentier. Une question s’impose: Inverse ou normale ? Les stries sur le miroir laissent peu de chance au décrochement. Boussole et compas rendent leur verdict : elle n’est pas compatible avec le plissement alpin et sa forte inclinaison nous suggère sa tendance normale.
Et comme nous sommes des scientifiques, nous voulons vérifier nos hypothèses. Une deuxième cuisson à feu doux s’impose, agrémentée cette fois-ci d’une échappée sur les escarpements côtiers (mais on nous a promis une pause à l’ombre dans un futur très proche) et là, entre la houle et les rochers découpés, le graal ! Une faille parallèle à la précédente mais bordée d’une masse amorphe beige, granuleuse et très ‘’moche’’: un remplissage caractéristique des failles hydrothermalisées qui sont typiques des marges en extensions. Autrement dit, nous sommes au bord d’un véritable domaine océanique.
C’en est trop, nous ne savons plus si cette révélation est le fruit d’un délire thermique ou d’une réalité géologique. Heureusement, voilà la pinède ombragée tant attendue, l’occasion de déballer notre pique-nique et de piquer un roupillon ou une tête dans cet océan que nous venons d’identifier. Quelques botanistes profitent même de l’endroit pour faire quelques déterminations à la sauvette.
Les compteurs remis à zéro, nous sommes à présent entièrement réceptifs aux explications du professeur Jones: profil sismique et schémas de la région à l’appui, il nous confirme l’existence d’une zone d’extension ici, au nez et à la barbe des Alpes: le Sud du plissement Alpin est en train de se faire saucissonner par un océan en formation depuis plus de 20 millions d’années. Nous avons là un bassin d’arrière arc d’une subduction centrée sur l’Italie et cet étirement éloigne inexorablement la Corse, la Sardaigne et l’Italie des côtes provençales … alors que la même Italie est notoirement impliquée dans la collision alpine ! Tout cela étant probablement permis par un morceau de très vieille Tethys Africaine qui se serait décroché en profondeur et qui aurait laissé une brèche dans laquelle s’engouffre allègrement une autre pièce du puzzle-tectonique-3D-méditerranéen-niveau-de-difficulté-5-marteaux ! Qu’à cela ne tienne, cherchons des traces de subduction, un volcan explosif tiens ! Et il se trouve qu’il y en a un à quelques km de là, au cap d’Ail.
Si Tuzo Wilson nous entendait, il se retournerait dans sa tombe: “Dans mes cycles, l’expansion océanique vient après ou avant la collision, jamais pendant, respectons les intervalles !”. Et d’ailleurs, à propos d’intervalles, connaissez-vous celui des vitesses de déplacement d’un botaniste se déplaçant à pied ? De 3 mètres par heure en forêt tropicale humide à 300 m/h en monoculture intensive de maïs. Pour un géologue, la fourchette va de 0 m/h face à une discordance angulaire recoupée par une cheminée volcanique, à 6000 m/h, lorsqu’il doit filer au travers de zones infestées de botanistes pour accéder à ses affleurements.
C’est donc en bus (climatisé !) que nous rejoignons le sentier littoral du cap d’Ail où nous attendent depuis plusieurs millions d’années des dépôts de cendres volcaniques parsemés de bombes volcaniques et balayés par les embruns. Le volcan ici est éteint car l’arc volcanique de subduction s’est depuis retiré vers le Sud.
Récapitulons, nous avons vu sur quelques kilomètres carrés, la collision alpine, l’ouverture de l’océan liguro-provençal, la subduction d’une micro plaque méditerranéenne … et des vers géants ! Le festival géologique s’arrête là, au prochain virage du sentier, c’est Monaco où les seuls vestiges naturels à observer se cantonnent aux pots de fleurs et pierres de taille. Certes il y a le magnifique musée océanographique sur le rocher mais c’est une autre histoire.
J’espère ne pas vous avoir convaincu que botanistes et géologues sont deux concepts opposés mais simplement révélés par la caricature des tendances de chacun. Car nous, les naturalistes, savons que les différents domaines du savoir ont des frontières poreuses et qu’on y dévoile des connections en allant chercher dans les différentes échelles d’observation. Et c’est ce qui fait que les SVT sont la plus belle des matières.
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